Dernière partie de la nouvelle commencée pour accompagner la création de mon armée Nighthaunt pour le jeu Age of Sigmar. Elle prend bien sûr place dans cet univers, avec toute la violence que cela implique. N’hésitez pas à relire la partie précédente pour reprendre le contexte du récit et ses protagonistes en mémoire. 😉
Bonne lecture. 🙂
Âcre, mélange de sueur et d’excréments, l’odeur embaumait toute la cave, et tous s’y étaient habitués. Pour la faim c’était plus compliqué, elle tordait tous les estomacs, sans exception. Par chance les mages parvenaient à produire de l’eau, moins pure et surtout en moindre quantité au fur et à mesure que le temps passait et qu’ils se fatiguaient à la tâche, mais au moins cela permettait de rester en vie. La faible lueur magique qui éclairait les lieux semblait elle aussi disparaître à petit feu, alors que l’humidité du sol de terre battue qui servait de paillasse avait fini par faire moucher et tousser la majeure partie des rescapés. La maladie commençait à entrer en scène.
Voilà peut-être cinq ou six jours qu’ils étaient cloîtrés dans cette remise. Voire une semaine.
Cachille avait finalement eu raison, Chat Maigre n’avait pas mis fin à ses jours. Manque de courage ou de désespoir, qu’importe. Il faisait comme les autres, il attendait de voir si quelqu’un venait ou non à leur secours. Plus le temps passait plus la chose paraissait improbable et plus on avait envie d’y croire, sans toutefois parvenir à le faire.
La nature humaine fait que, poussé dans ses retranchements, celui-ci est capable du pire. Chat Maigre ne l’ignorait pas. Il ne pensait cependant pas que celle-ci se révélerait si rapidement. Les trois Gardes Légataires avaient assez vite pris le dessus sur le groupe. Mettant au pli un Légat complètement dépassé et impuissant, ils faisaient régner leur loi sans que personne ne moufte. Certains de la Cohorte avaient voulu s’opposer mais le Commandant s’était assuré qu’ils n’en fassent rien, insistant pour qu’ils continuent de faire profil bas jusqu’à nouvel ordre. La faim et l’ennui rendit moitié fou un des civils, il exigea de sortir et se mit à hurler et vitupérer face au refus. Les Gardes Légataires le repoussèrent sans douceur et, comme il revint deux fois à la charge, commencèrent à le frapper. L’homme fut roué de coups durant de longues minutes, alors même qu’il gisait au sol. Il servit de défouloir aux Gardes au point qu’il y perdit la vie, de nombreux os brisés et le visage détruit par l’avalanche de coups. D’autres civils se virent ordonnés de l’enterrer à mains nues, ils s’exécutèrent, conscients que ce sinistre spectacle était à prendre comme un avertissement. Plus tard, la femme qui avait pu entrer avec son nourrisson se retrouva dans l’impossibilité de le nourrir. Lorsqu’il ne dormait pas, les cris de l’enfant retentissaient de plus en plus souvent et de plus en plus fort au sein de la remise, au point que beaucoup perdirent totalement patience et empathie, promettant les pires sorts à la pauvre femme si elle ne le faisait pas taire. Lorsque l’enfant s’endormit pour ne plus se réveiller, les sanglots étouffés de sa mère remplacèrent les cris durant plusieurs heures.
Chat Maigre ne comprenait qu’à moitié le choix du Commandant de donner à la Cohorte ce rôle de spectateur de la situation alors qu’il aurait été si simple de prendre le dessus sur les Gardes Légataires pour les empêcher de nuire. Il n’était qu’une question d’heures avant qu’il ne prenne à ces brutes l’envie de violer une des femmes présentes… Quitte à désobéir au Commandant, Chat Maigre se promettait de ne pas laisser la chose se produire.
Les nerfs de tout le groupe étaient mis à vif par la faim, l’ennui et les conditions de survie dans cette remise. Même les membres de la Cohorte étaient parfois prêts à en venir aux mains pour la moindre broutille. La bagarre n’aurait de toute façon pas été très impressionnante tant les corps étaient devenus émaciés et faibles.
Les mages en revanche se montraient en exemples de détermination. Se relayant à intervalles réguliers pour maintenir le sort de protection, ils avaient maigris à vue d’œil, les cernes s’étant creusées sur leurs visages en quelques heures à peine. Chat Maigre n’osait imaginer le prix qu’ils payaient pour assurer une chance de survie à tout ce petit monde.
Alors qu’il somnolait tant bien que mal, Chat Maigre fut tiré de ses rêveries par le Commandant qui, d’un signe de tête, l’invita à le suivre. Ils rejoignirent Sire Hombert, toujours Chef du Guet mais d’un Guet agonisant, et Tarol, l’un des deux mages, non loin de la porte. Les mines étaient graves et la conversation se faisait à voix basse. Désignant Chat Maigre, Hombert demanda au Commandant :
» Il sait ?
– Sans doute.
Hombert se tourna vers Chat Maigre :
– Tu penses qu’il faudra encore combien de temps aux secours pour arriver ?
– Quels secours !? répondit-il dans une grimace.
D’ordinaire il se faisait discret devant la hiérarchie, ne pas se faire remarquer pour se faire oublier. Mais les derniers jours l’avaient mis aussi à cran que tous les autres.
– Merde… soupira Hombert.
– On a plus beaucoup de temps, intervint le mage.
– Merci de le rappeler, coupa le chef du Guet sur un ton sarcastique qui ne lui était pas habituel.
Sentant qu’il allait être mêlé malgré lui à une affaire dont il n’avait surtout pas envie de prendre connaissance, Chat Maigre se tourna vers le Commandant :
– Je peux disposer ?
– Sûrement pas. Je te le fais courte : on doit faire sortir deux hommes pour aller chercher des secours. Tu seras de la partie.
– Sans moi.
– C’est un ordre.
– Celui d’aller me faire trancher la gorge. Vous êtes plus subtil d’habitude, Commandant.
Le ton montait mais les deux hommes s’efforçaient de continuer à parler tout bas.
– Le temps n’est pas à la subtilité , ni à la remise en question des ordres donnés.
– Une mission suicide et je suis désigné volontaire. Cela ne choque personne ? Tout le monde a perdu la boule ici ou quoi !?
– On n’a pas d’autre alternative, intervint Tarol. C’est notre seule chance, et on n’aura bientôt plus le temps.
– Vous avez parlé de deux hommes, qui est l’autre veinard ?
– C’est moi, répondit Hombert.
Chat Maigre peina à trouver ses mots. La participation de Hombert à une telle initiative le surprenait. Il ne s’agissait pas simplement d’envoyer de la piétaille à la boucherie. La chose était sérieuse. Il demanda des clarifications sur le projet, Tarol se chargea de le renseigner :
– Effalid et moi ne nous contentons pas de maintenir la porte scellée, nous espionnons également l’ennemi, mais de loin. Ou plutôt de haut, pour être exact. Ils ne sont plus aussi nombreux, loin de là. La nuit, un nombre assez important de spectres sillonnent la ville, mais en journée il n’y en a plus beaucoup, comme si la plupart se cachent du soleil. Effalid pense les avoir vus se réfugier dans les égouts au petit matin, mais rien dont nous soyons sûrs. La ville nous semble arpentable en journée, à condition de faire preuve de la plus grande discrétion, bien entendu.
– Donc l’idée serait de sortir chercher de l’aide dans les cités voisines ?
– Surtout pas, s’écria Tarol dans un souffle. Autant la cité semble déserte, autant ses environs pullulent de ces créatures. Ils ont démantelé tous les feux de détresse et massacrent tous les messagers ou marchands qui s’approchent trop. Aucune exception. Visiblement Nagash ne tient pas à ce que les cités voisines apprennent la chute de celle-ci…
– Et comment on trouve des secours si on ne peut même pas sortir de la cité !?
– On va aller sonner le Tocsin de Sigmar. » annonça Hombert.
Le Tocsin de Sigmar était un vieux monument à la gloire de la divinité. Il amenait autrefois beaucoup de visiteurs à la cité, certains organisant même des pèlerinages. Il consistait en une gigantesque cloche, haute de plusieurs mètres, suspendue à la charpente du dôme principal du Palais. La légende voulait que ce soit Sigmar lui-même qui en fit cadeau à la région. Le texte gravé dessus « où je sonne son regard se pose » ne laissant pas de doute sur le rôle du monumental instrument, il était placé sous bonne garde et les visiteurs avaient interdiction absolue ne serait-ce que de l’approcher à moins de dix mètres. Avec le temps la rumeur d’un faux s’était faite de plus en plus pesante, il se dit dans les tavernes de la région que la cloche était en réalité de plâtre. Comme les légats se succédaient et qu’aucun ne voulut s’abaisser à faire retentir l’objet pour prouver sa véracité, la rumeur devint vérité dans la conscience collective et la curiosité n’amena plus personne auprès du Tocsin, qui vit finalement les portes de son antre fermées au public. Le gardes censés le protéger devinrent ensuite les Gardes Légataires du régent en place et restèrent à ce poste à travers les décennies.
Chat Maigre se retint de rire devant l’air sérieux du chef du Guet :
« Quoi !? Vraiment ? Vous allez vous raccrocher à de vieux racontars ? A des histoires qu’on raconte aux enfants pour qu’ils n’aient pas peur des fantômes sous leurs lits ? railla Chat Maigre.
Hombert attrapa vigoureusement le mercenaire par le col, amena son visage tout près du sien et murmura entre ses dents serrées :
–On va mettre ton effronterie sur le compte de la peur, mon gars. Mais je te rappelle qu’aujourd’hui les fantômes ne sont plus sous nos lits mais dans nos murs. Alors si tu ne veux pas rester ici à regarder les gens crever mais que tu as une meilleure idée que d’aller sonner cette foutue cloche, et bien vas-y, on t’écoute !
Mais vu les circonstances il n’avait rien de mieux à proposer et la situation devenait si critique dans la cave qu’il semblait urgent de chercher à contacter des secours. Après un bref silence il se tourna vers le Commandant et demanda :
–Vous êtes sûr de votre choix ? Ce n’est pas anodin d’envoyer un homme à la mort…
Le Commandant avait un regard peiné que Chat Maigre ne lui connaissait pas, il était évident que la chose ne lui plaisait guère.
–Regardes les autres, murmura-t-il en désignant les membres de la Cohorte assoupis. Tu les connais et tu te connais. Qui a le plus de chance de réussir ce coup ?
Le silence de Chat Maigre parlant pour lui, il éluda la question :
–C’est prévu pour quand ? On a un plan solide au moins ?
Tarol sembla soudain tout guilleret :
–Fort bien. Ne prenez pas cela comme un sacrifice, si ce que le Commandant nous a raconté sur vous est vrai, vous avez toutes vos chances d’en revenir sain et sauf. On vous fera sortir dans quelques heures, ce sera le milieu d’après-midi. Il est évident qu’on ne peut pas vous envoyer tous deux dans cet état, vous vous écrouleriez de faiblesse au premier coin de rue, mais nous n’avons pas non plus le temps de vous laisser retrouver vos pleines capacités. Ainsi vous devrez vous réfugier dans le premier établissement que vous trouverez. Auberge, taverne, peu importe, mais réfugiez vous dans les étages. Il vous faudra vous nourrir et prendre du repos. Ne mangez pas trop, vous seriez immédiatement malades, votre corps n’est plus habitué. Mangez peu et lentement. Arrivé à satiété, ne tombez pas dans la gourmandise, et sachez vous arrêter. Ensuite, dormez. Toute la nuit. Les spectres ne semblent pas porter beaucoup d’attention aux bâtiments, sans doute les ont-ils déjà ratissés, ils ne s’attendent donc pas à ce que des survivants y apparaissent. Le lendemain, lorsque le soleil sera assez haut dans le ciel et que ces entités auront déserté les rues, remontez discrètement la ville jusqu’au Palais, vous y entrerez sans difficultés, Sire Hombert le connait comme sa poche, et faîtes résonner ce Tocsin de toutes vos forces ! Malheureusement Effalid et moi ne pourrons vous être d’aucune utilité, maintenir la barrière nous a complètement siphonnés, qui plus est cela pourrait vous rendre plus facilement repérables. Mais n’oubliez pas le primordial : pas un bruit, sinon c’en est fini de vous.
– Voilà qui est encourageant… En tout cas je constate que ça fait un petit moment que vous travaillez sur le projet. Sire Hombert, vous êtes sûr de vouloir prendre part à ça ?
– C’est mon idée, c’est donc mon rôle.«
Répondant à un discret signe de tête de Tarol, le Légat sortit de son coin et se joignit à la petite assemblée, accompagné d’un de ses Gardes :
–Fort bien messieurs, j’ai plaisir à voir que tout est en ordre et que nos espoirs reposent désormais sur vous. Vous avez toute ma confiance.
Chat Maigre ne s’étonna pas que le Légat soit avertit du projet et surtout qu’il ait laissé à d’autres le soin de le mettre sur pied. Il ne s’étonna pas non plus qu’aucun des Gardes Légataires ne se soit porté volontaire. Le dignitaire reprit :
–Soyez assurés que si nous survivons grâce à vous à cette bien sombre période, chacun de vous verra une des places de la cité porter son nom et décorée d’une majestueuse statue à son image. Vos noms ne sombreront pas dans l’oubli, vous serez les nouveaux héros des citoyens et de grandes fêtes seront organisées en votre honneur, dit-il avec un sourire forcé.
Chat Maigre se rappela en son fort intérieur que tous les citoyens survivants étaient là, dans la même cave que lui, mais il garda la remarque pour lui et n’exprima qu’une simple requête :
– Altesse, si nous réussissons, veuillez laisser mon nom tomber dans l’oubli. Et si statue il doit y avoir j’aimerais autant qu’elle soit à l’honneur des deux mages qui garantissent notre survie depuis le début plutôt qu’au mien.«
Tarol dissimula tant bien que mal un petit sourire alors que le Légat acquiesçait d’un salut de la tête avant de se remettre à l’écart.
Le moment venu, le silence régnait dans la cave. Les détails de l’opération n’avaient pas été donnés aux autres survivants pour éviter que, croyants l’ennemi assez peu nombreux pour que la fuite soit possible, tous ne tentent de sortir dans un mouvement de masse. Les Gardes Légataires formaient de toute façon un obstacle conséquent en travers de la porte. En complément de son poignard et de son habituelle épée à deux mains, Chat Maigre avait convaincu Tronche de lui laisser son épée bâtarde, une arme simple mais efficace. Légère, parfaitement équilibrée, avec une garde et un pommeau pointus si le combat devenait trop rapproché. Il avait laissé en contre-partie sa bourse bien garnie et sa besace, dans la doublure de laquelle d’autres pièces étaient cousues. Tronche s’en apercevrait vite, il y en avait tellement désormais que ce n’était pas vraiment discret. Chat Maigre avait combattu des années pour amasser ce pactole, il aurait cru que cela lui aurait été douloureux de l’abandonner dans de telles conditions, mais il n’en était rien. Il se sentait presque soulagé. Outre la satisfaction de léguer le butin à un vieux compagnon d’arme, il était comme délesté d’un poids. Il n’aurait su expliquer la chose, il ne savait même pas l’identifier. Était-ce l’impatience de sortir de cette cave, de retrouver la lumière du jour ? La résignation d’aller à la mort ? La conviction de faire le nécessaire ? Ou peut-être simplement ne réalisait-il pas ce qui se jouait à ce moment précis.
La voix de Tarol le tira de ses pensées, il invitait les survivants à lui prêter leur attention. Il leur fit état de la situation, en l’enjolivant quelque peu, et annonça que le Sire Hombert et Chat Maigre s’étaient portés volontaires pour guider jusqu’à la cave les secours qui étaient en route. Mensonges totalement assumés de sa part.
« Je viens avec vous ! la voix jaillit de la petite assemblée, une voix jeune mais au ton ferme, une tête émergea au premier rang. Laissez-moi vous accompagner, à 3 nous aurons plus de chances.
Un civil. Il n’avait pas plus de 20 ans, de taille moyenne, habillé de façon modeste. Ses cheveux coupés très courts permettaient, même dans cette obscurité, de voir la longue cicatrice qui courait sur le côté gauche de son crâne.
– Hors de question, répondit Hombert d’un ton glacial, nous ne savons pas ce qui nous attend dehors, peut-être serons-nous morts dans moins d’une heure. Comprenez que c’est une traversée du territoire ennemi, pas une promenade. Nous sommes deux hommes d’expérience, c’est déjà bien assez. Ne vous mettez pas en danger inutilement.
– J’ai aussi de l’expérience ! Mon oncle m’a enseigné le métier de trappeur, il n’y a pas plus discret et agile que moi ! Je sais me battre aussi, je suis même armé !
Il exposa le manche de ce qui semblait être une dague, pendue à sa hanche, avec un sourire victorieux.
– Ecoutez, intervint Tarol, nous sommes tous admiratifs de votre sens du devoir et du sacrifice, mais comprenez que la mission a été préparée pour deux personnes, nous ne pouvons pas nous permettre de…
– Préparée ? le coupa le jeune. Quels préparatifs sont nécessaires pour envoyer trois hommes à la rencontre des renforts ? Certainement pas plus que pour en envoyer deux !
Tarol fut désarçonné par la question, il ne voyait pas comment continuer d’argumenter sans trop en dire.
– Le jeunot a raison, lança un des Gardes Légataires avec un petit sourire, être un de plus ne peut que vous aider dans votre tâche. Vous devriez le prendre avec vous.
Chat Maigre et Sire Hombert le fusillèrent du regard. Ce grand crétin connaissait le but réel de cette sortie, pourquoi cherchait-il à leur mettre ce mouflet dans les pattes !?
– Pas vrai Monseigneur ? ajouta-t-il d’un air narquois.
Dos au mur, et toujours sous la coupe de ses Gardes, le Légat approuva timidement, ce qui équivalait à un ordre.
– Quel est ton nom mon gars ? demanda un autre garde.
– Bathias, répondit le jeune homme. Bathias Longvoie.
– Alors la chose est entendue. Ouvrons les portes et faisons une haie d’honneur à nos héros !
– Cessez ! grogna Hombert entre ses dents serrées à l’attention des Gardes Légataires. A vous trois vous n’avez certainement pas assez d’honneur pour en faire une haie.
Les gardes gloussèrent.
Tarol murmura à l’oreille d’Effalid qui lui répondit d’un hochement de tête, toujours concentré sur son oeuvre, puis invita les survivants à se réfugier dans le fond de la salle. Alors qu’il entrouvrait la porte de la cave, laissant passer une vif rayon de lumière qui ne manqua pas d’aveugler les trois hommes, il leur souhaita bonne chance, et surtout réussite. Hombert passa la porte le premier, suivi de Chat Maigre puis de Bathias.
La porte se referma derrière eux dans un silence de mort. Le même silence qui habitait la cité. L’air pur et la lumière leur fit tourner la tête quelques secondes, durant lesquelles ils restèrent devant la cave qu’ils venaient de quitter, le temps que leurs yeux s’habituent à retrouver la lumière du jour. Pas le moindre spectre à l’horizon. Pas le moindre cadavre non plus, ni aucune trace de l’incendie, contrairement à ce à quoi Chat Maigre s’attendait. Interrogeant le mercenaire du regard, Hombert pointa du doigt une auberge de l’autre côté de la place, située dans une des rues qui remontaient vers le Palais, elle était la seule des alentours à offrir 3 étages. Chat Maigre acquiesça avant de se retourner vers Bathias, lui intimant le silence d’un doigt posé sur les lèvres, et l’invitant à le suivre d’un signe de main. Comme l’avait annoncé Tarol, c’était le milieu de l’après-midi. Le soleil était encore haut et n’offrait que peu d’ombres où se mouvoir, les trois hommes traversèrent donc la place au pas de course, aussi discrètement que possible, et rejoignirent l’auberge en se collant aux façades, sans cesser de lancer des regards inquiets de tous côtés. Hombert poussa doucement la porte d’entrée, qui par bonheur ne grinça pas, et passa la tête dans l’encadrement. Il entra ensuite en faisant signe de le suivre.
De l’extérieur, l’auberge ne payait pas de mine, mais une fois la porte passée on constatait vite que, bien qu’elle ne fut pas luxueuse, elle visait une clientèle aisée. Décorée avec goût de différents trophées de chasse et objets d’art, le sol se voyait couvert de quelques tapis, tandis que le mobilier était en bon état et surtout de qualité. Chat Maigre remarqua que les longues tablées et les habituels bancs des établissements populaires étaient ici remplacés par des tables à quatre ou six places et par divers fauteuils et chaises. Il comprit le choix de cette auberge alors que Hombert redescendait des étages qu’il venait d’inspecter au pas de course. Un établissement ayant une grande capacité d’accueil et recevant des clients aisés avait forcément un garde-manger à la hauteur, ils étaient ainsi sûrs de ne pas perdre de temps à chercher des victuailles.
« Bon, murmura Hombert à ses deux compagnons, on prend ce dont on a besoin dans les cuisines et on monte au second, il y a une petite chambre dont la fenêtre donne sur les toits, on va attendre à l’intérieur.
– Attendre quoi !? s’étonna Bathias.
– On t’expliquera en haut, souffla Chat maigre. Pour le moment fais ce qu’on te dit. «
Il ne leur fallut que quelques minutes pour se retrouver dans la chambre avec plus de nourriture qu’ils n’auraient été capables d’en consommer. Même si Hombert et Chat Maigre prenaient au sérieux les recommandations faites par Tarol, la faim les poussa à ne pas être regardants sur les quantités. Bathias remonta une cruche de cervoise que Hombert s’empressa de vider par la fenêtre en lui expliquant aussi calmement que possible qu’il n’était question ni d’alcool, ni de s’empiffrer.
C’est en mangeant de la façon la plus frugale que le leur permit la faim lancinante, et aussi en se surveillant les uns les autres à ce sujet, que Chat Maigre et Hombert expliquèrent la situation réelle à Bathias, ainsi que le but ultime de leur sortie : sonner le Tocsin de Sigmar. Le jeune homme eu le plus grand mal à masquer sa déception.
« C’est pour ça qu’on ne voulait pas que tu nous accompagnes, expliqua Hombert. Tu ne savais pas ce qui se jouait réellement. Si seulement ces maudits gardes ne s’en étaient pas mêlés…
– On peut surtout féliciter le Légat d’avoir entériner la chose, releva Chat Maigre.
– Tsss, pouffa Hombert. D’aussi loin que je me souvienne, il a toujours été le pantin d’un parti ou de l’autre. Bathias, comprends que, même si c’est à contre-cœur, je ne peux te laisser retourner à la cave, ni même fuir… Si des spectres te prennent en chasse ils pourraient découvrir les autres, et tout cela n’aura servi à rien.
– Non, non, bougonna Bathias, vraisemblablement perdu. Je reste avec vous, vous inquiétez pas.
Hombert le réconforta de son mieux, lui posant une main sur l’épaule :
– Fort bien. Ne t’en fais pas, je suis sûr que nous réussirons. Sigmar veille sur nous. Tu devrais prendre le premier tour de veille, Chat Maigre prendra le dernier. La chambre n’a qu’un lit, mais on a connu bien pire ces derniers jours, on devrait survivre à ça. Et le premier que je trouve en train de se goinfrer pendant son tour de veille prendra mon pied au cul. «
Chat Maigre savait comment fonctionnaient les vieux officiers du genre de Sire Hombert, celui-ci n’ayant que peu confiance en Bathias, il ne dormirait que d’un œil, prêt à bondir au moindre bruit suspect. Le mercenaire décida d’en faire de même.
C’était sans compter sur Morphée et son irrésistible étreinte.
Une main secouant son épaule réveilla Chat Maigre en sursaut. Hombert lui chuchota qu’il lui laissait reprendre ses esprits une minute avant d’entamer son tour de veille. Le mercenaire refusa d’un grognement et se hissa sur ses jambes, laissant le vieux Chef du Guet prendre place dans le lit au côté d’un Bathias dormant à poings fermés. Chat Maigre s’étira, vérifia ses armes, saisit un morceau de pain restant du petit festin de la veille et commença à le mâcher mollement en jetant un œil par les carreaux sales de la fenêtre. Dehors la nuit était noire, sans lune. Il distinguait tout juste les tuiles qui s’étalaient sous la fenêtre. Bien vite perdu dans de fumeuses rêveries, il fut subitement tiré de ses pensées par le reflet d’une lueur bleue glissant rapidement sur la façade opposée. D’instinct Chat Maigre se cacha de la fenêtre et mit son épée au clair. Les frissons lui parcouraient le dos et ses mains commençaient à trembler. Il ne savait à quoi s’attendre de son ennemi, celui-ci pouvant jaillir de n’importe-quel mur, à n’importe-quel moment. Sans trop y réfléchir il se dirigea vers la porte de la chambre et l’ouvrit lentement, jetant un œil sur le palier et les escaliers qui y montaient. Rien, le noir total. Il attribua la lueur à une des patrouilles dont le mage avait parlé et se dit que le rappel à la réalité aurait pu être pire. Il resta là durant plusieurs heures, appuyé contre le cadre de la porte, presque immobile, posant son regard tantôt dans l’obscurité de la chambre tantôt dans celle du palier, mordant machinalement dans son bout de pain. Petit à petit le noir laissa place à l’ombre, puis au gris, jusqu’à ce que les rayons du soleil ne percent l’horizon.
Hombert s’éveilla, s’asseyant sur le bord du lit en grognant. Chat Maigre lui fit signe qu’il n’avait pas à s’inquiéter, qu’il pouvait encore dormir, mais il l’ignora. Après avoir jeté un œil par la fenêtre, il entraîna Chat Maigre à sa suite sur le palier, laissant la porte de la chambre entrouverte.
« Laissons Bathias dormir encore une heure ou deux, nous partirons lorsque le jour sera totalement levé.
– On pourrait aussi le laisser là et y aller à deux comme prévu, proposa Chat Maigre. Ce n’est pas un enfant, il se débrouillera. Surtout si on réussit.
– Trop risqué. Si les spectres tombent dessus l’alerte sera donnée et la mission compromise. On doit le garder avec nous.
– Comme vous voudrez… Vous savez pourquoi le Commandant m’a choisi ?
La question hantait Chat Maigre depuis le début et les heures qu’il venait de passer à la ressasser le poussaient enfin à l’exprimer.
– Lorsque j’ai proposé cette sortie, ton Commandant s’est immédiatement proposé. De manière insistante. J’ai refusé et ai parlé de toi. Il a trouvé que c’était une bonne idée.
– Vous ne m’en voudrez pas si je trouve au contraire que les bonnes idées ce n’est pas votre fort ces temps-ci. Pourquoi moi ?
– Il me fallait un homme sérieux, discret et efficace. Je t’ai vu lors des entraînements avec le Guet, j’ai su y apprécier ton efficacité. J’ai aussi apprécié que tu ne profites pas de chacune de leurs erreurs ou faiblesses pour humilier les membres de mon Guet. Je t’ai vu placer les coups sans les porter, je t’ai vu leur donner des conseils, des avis, ne jamais les prendre de haut même si la tâche de les entraîner, j’en suis convaincu, te paraissait être une plaie. Tout cela, la plupart de tes compagnons en ont été incapables. Ton Commandant a confirmé l’avis que je m’étais fais de toi, sans réserve, sûr lui aussi que c’est avec toi que j’ai le plus de chances de réussir à atteindre le Tocsin.
– Pourquoi avoir refuser son aide alors !? J’ose croire que le Commandant et moi partageons les mêmes valeurs et il aurait fait comme moi à ma place. Lui était volontaire pour cette sortie, pourquoi l’avoir rejeté ?
Hombert balaya la question d’un geste de la main :
– J’ai d’autres projets pour lui.
Surpris par la réponse, Chat Maigre garda le silence un court instant, avant de reprendre :
– Alors là, Sire Hombert, si vous croyez que je vais me contenter de cette réponse… Vous m’amenez avec vous à la mort, ayez la délicatesse d’être un peu plus transparents sur vos projets.
Le sarcasme du mercenaire fit grogné le Chef du Guet, qui consentit tout de même à parler :
– Il faut que tu comprennes que mes hommes et moi entretenons une relation particulière… De l’extérieur, j’ordonne de maintenir le calme dans la cité, ils exécutent… Mais de l’intérieur du Guet, c’est moins militaire. Non pas que je sois laxiste, mais je préfère être juste plutôt qu’être dur, et la plupart de mes gars viennent des quartiers pauvres, ou de fermes en périphérie de la cité. Ce n’est pas la justice qui les a amenés à moi mais la promesse d’un toit, de repas chauds, et d’une paie. Ils ne sont pas faits pour passer à tabac des voyous, encore moins lorsque les voyous en question sont leurs amis d’enfance ou leurs cousins. Ils font de leur mieux, leur rôle leur tient à cœur, mais ils ne parviennent pas à tenir la ville sous leur coupe car ils n’ont pas cette fibre, et les gens les connaissent… Mettrais-tu ton propre frère aux fers !? Pas eux. En plus de ça, beaucoup d’entre eux n’ont pas eu de figure paternelle et m’ont peu ou prou donné ce rôle. Inconscient de la chose j’ai laissé faire, et lorsque j’ai ouvert les yeux il était trop tard : j’étais déjà invité aux baptêmes, aux mariages, aux repas de famille… Et…
Sire Hombert marqua un silence avant de reprendre, les yeux humides et la gorge nouée :
– Et j’aime ça, bordel ! Sais-tu que je suis parrain de cinq petits gars et quatre fillettes !? Il y en a même un qui porte mon prénom ! Te rends-tu compte !? Moi, Alphonse Hombert, sans mariage ni enfant, je me retrouve membre d’une bonne quinzaine de familles ! Il n’y a pas un jour de festivité que je passe seul, j’en suis même à jongler parmi les invitations. Au début j’ai cru à du respect, mais au-delà c’est de la gratitude que j’ai ressenti en rencontrant ces familles. Quand la doyenne d’une famille te prend les mains en pleurant et te remercie parce-que grâce à toi un de ses petits ou arrières petits-enfants ne deviendra pas brigand et vivra d’un métier honorable, crois-moi Chat Maigre, tu prends ça comme une bénédiction ! Et avec le temps cette gratitude s’est transformée en une sorte d’amour, une affection franche, certes cachée dans un écrin de politesse, mais les fais sont là : je peux aller frapper à la porte de chacune des maisons de mes gars, j’ai la certitude d’y être accueilli avec des sourires francs et d’être invité à partager une cruche de bière ou un repas, alors que ces gens là n’ont rien. On s’y inquiétera de mes tracas, de ma santé, les problèmes de la famille m’y seront présentés et on voudra connaître mon avis sur le sujet, mes conseils. On me donnera des nouvelles des enfants et petits-enfants, on me mettra le dernier-né dans les bras pour que je vois comme il est en bonne santé… Voilà la relation qui s’est nouée entre mes gars et moi. Du respect, mais plus d’affection qu’il ne devrait y en avoir. J’ai toujours réussi à cacher la chose, à faire croire à une main de fer. Et mes gars jouent le jeu, ils font attention en public à se montrer exemplaires, à ne pas entacher cette image d’homme dur que je me suis bâtie au fur et à mesure des années, mais peut-être qu’au fond ces mêmes années m’ont ramolli… C’est aussi pour ces raisons qu’il m’était impossible d’envoyer l’un d’eux faire cette mission à ma place, parce-que je connais leurs mères, leurs femmes et enfants, et que si la mission devait tourner au fiasco je me sentirais éternellement coupable d’avoir fais courir de tels risques à l’un d’eux…
Marquant une nouvelle pause, Hombert jeta un œil par l’entrebâillement de la porte, s’assurant que Bathias dormait toujours, puis reprit :
– Lorsque la Cohorte est arrivée dans la région je me suis renseigné sur vous, je ne comprenais pas votre présence. On m’a rapporté que vous étiez à la recherche d’un contrat et l’identité de votre Commandant. Or, ton Commandant et moi, nous nous connaissons. Jeunes, nous avons été formés ensemble aux arts de la guerre, et je garde un bon souvenir de sa droiture. Nous n’étions pas amis, mais nous nous respections. Sachant à peu près a quel type d’homme j’aurais affaire, j’ai demandé au Légat de vous recruter. Cela n’a pas été simple, mais j’ai réussi à le convaincre… Du temps que vous seriez dans nos murs, les autres cités ne vous avaient pas à disposition, ça limitait les risques que l’une d’elles se montre trop téméraire avec une déclaration de guerre malvenue. Les arts diplomatiques ne sont pas mon fort, mais je sais qu’il est préférable de porter une arme que de la confier à son voisin. En même temps vous alliez pouvoir nous aider à ramener le calme dans certains quartiers où nous ne pouvions même plus mettre les pieds. Ce que vous avez fait avec un zèle inattendu. Tu sais Chat Maigre, le Guet et la Cohorte ne sont pas si différents. Les deux sont une bande de pauvres types qui louent leurs armes en essayant de se trouver une place, un rôle. Le fait que vous changiez constamment de client et pas nous n’est qu’un détail. La seule vraie différence, c’est que là où le Guet est constitué de chiens de troupeau, la Cohorte est une meute de loups. Et les moutons ont parfois besoin de la peur du loup pour retrouver leur enclos. C’est une image un peu dure, mais elle résume assez la situation. Du moins celle que nous connaissions avant l’attaque. La cité avait besoin de loups pour retrouver un semblant d’ordre, les effets de votre présence l’ont prouvé. Si nous réussissons et qu’une vie normale reprend son cours, la cité connaîtra des temps difficiles durant lesquels elle aura encore besoin de loups. Et je n’ai plus ni la force, ni la volonté de dresser des loups. C’est pourquoi j’ai refusé que le Commandant s’expose sur cette mission. J’ai besoin qu’il me remplace à la tête du Guet. Les survivants de la Cohorte volontaires seront intégrés au Guet en tant que gradés, les autres seront libérés de leur engagement et aidés par le Palais pour leurs éventuels projets. J’en ai longuement parlé avec ton Commandant, il voit là l’occasion de lever le pied pour ses vieux jours. Le Légat est également ravi de cet accord, je sais qu’il me trouve de toute façon trop coulant avec mes hommes, imaginer un homme de poigne comme ton Commandant à ma place lui sied très bien. J’ai moi aussi confiance en sa capacité de recruter et former des agents du Guet efficaces, je suis convaincu qu’il saura se montrer aussi juste que j’ai essayé de l’être, et plus ferme. Tout cela a été entériné depuis plusieurs jours, l’attaque que nous avons subit n’a fait que précipiter les choses. Voilà le fin mot de l’histoire, pour le moment en tout cas. J’espère que tu ne prendras pas ça comme une trahison de la part de ton Commandant, il n’en est rien. Il a durement négocier les conditions de recrutement vous concernant, tes compagnons et toi. Il tenait à vous garder avec lui.
– Le vieux bougre, souffla Chat Maigre, secret jusqu’au bout… Dire qu’aucun de nous n’avait idée de ce qui se tramait en réalité. Si nous avions été mis au courant…
– Cela n’aurait fait que rendre la chose plus compliquée. En tout cas, nous concernant, toute cette affaire est désormais secondaire. Nous avons une rude tâche à accomplir aujourd’hui et le soleil est déjà assez haut pour que nous nous mettions en route. Je vais réveiller Bathias, vas voir dans la rue si la voie est libre. Fais attention à toi.
Chat Maigre ne discuta pas l’ordre et s’avança silencieusement dans les escaliers.
Descendant les marches à pas feutrés et bien que sur le qui-vive, Chat Maigre repensait aux aveux de Sire Hombert. Il n’aurait pas cru que l’homme entretenait ce genre de relation avec les membres du Guet, tant il donnait l’image d’une homme froid et dur. Le respect que ses hommes avaient pour lui devait être de taille pour qu’aucun ne trahisse le lien qu’il avait tissé avec eux. Il était facile et pas totalement erroné de faire un parallèle avec le lien qui unissait le Commandant et les membres de la Cohorte. Bien qu’il soit figure d’autorité incontestable et que ses ordres ne soient jamais ouvertement discutés, chacun savait que le Commandant ne rechignait pas à prêter l’oreille à un de ses hommes, qu’il s’agisse d’affaire personnelle ou d’un sujet plus officiel, il était souvent de bon conseil et toujours à l’écoute. Mais les membres de la Cohorte n’étaient pas les membres du Guet, ils se débrouillaient très bien par eux-mêmes.
Arrivé au rez-de-chaussée, Chat Maigre prit le temps de scruter la rue à travers les carreaux sales d’une des fenêtres avant d’ouvrir la porte et de se glisser dehors. La rue était déserte, le même silence de mort que la veille habitait la cité. Se tapissant dans l’ombre, il se glissa silencieusement devant les façades, jusqu’au premier croisement de rue. Posté là quelques minutes il ne décela pas un seul mouvement, pas le moindre bruit aux alentours. Il regagna l’auberge, toujours en silence, songeant à la chance qu’ils avaient d’avoir trouvé cet abri, ces mets, et d’avoir pu profiter d’une nuit de sommeil correcte. Et surtout de n’avoir pas encore croisé le moindre spectre. Il espéra que la chance ne les quitterait pas et commençait même à avoir l’espoir de s’en sortir vivant. Regagnant le rez-de chaussée du bâtiment, Chat Maigre fureta à nouveau dans les réserves à la recherches de vivres faciles à transporter. Il les trouva sans difficultés, fromage, salaisons et pain sec seraient des casse-croûtes de choix dans les jours à venir. Selon toute logique, le sort de l’affaire serait réglé au soir, mais ne sachant à quoi s’attendre, il préférait prévoir pour plusieurs jours. Hombert et Bathias ne se montrant pas, le mercenaire se dit qu’ils attendaient d’avoir confirmation que le rez-de-chaussée était sûr avant de quitter la chambre. Il entama donc une dernière fois l’ascension des marches pour les rejoindre.
La porte de la chambre s’ouvrit sur une flaque de sang s’étalant sur le plancher et s’insinuant entre ses lattes. Au sol gisait le Sire Hombert, pris de convulsions d’agonies. Par réflexe, Chat Maigre dégaina l’épée bâtarde et fouilla la pièce du regard, à la recherche d’une menace imminente. Personne d’autre dans la pièce que Bathias, debout à côté du corps du Chef du Guet, bouche bée et regard dans le vide, une longue dague ensanglantée à la main. Le mercenaire s’approcha lentement, prenant sa voix la plus douce :
» Bathias… Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
– Il refusait… Il refusait… Foutu idiot ! cracha le jeune homme entre ses dents serrées.
– Que refusait-il ? Expliques-moi.
Bathias leva enfin les yeux sur Chat Maigre. Un regard de dément qui ne laissait plus aucun doute sur la scène qui s’était jouée dans cette chambre.
– Il voulait aller sonner le Tocsin ! lança-t-il d’un ton accusateur, avant de hausser le ton en s’adressant au cadavre. Elle est en plâtre ta cloche, sombre con ! Tout le monde le sait !
– Calmes-toi Bathias, je t’en prie, ne crie pas. C’est terminé.
– Il voulait pas m’écouter ! Il voulait pas ! Je lui ai dis qu’on avait qu’à quitter la ville, aller trouver les secours. Les remparts sont pas loin, on a toutes nos chances ! Il ne voulait pas, il préférait nous amener à la mort avec lui… Je refuse de mourir pour qu’il passe pour un héros. Tu comprends ça toi, t’es un mercenaire, t’es pas comme lui.
– Oui, tu as raison. On va sortir de la ville. Reprends ton calme Bathias, il n’y a plus rien à craindre ici. Tu vois, je ranges mon arme. Sortons.
Mais, même s’il semblait se calmer, Bathias n’écoutait pas et continuait de vitupérer.
– J’avais pas le choix, il nous aurait jamais laissé partir. Alors qu’on peut très bien passer les remparts et disparaître. J’y ai réfléchis cette nuit. Si on croise les secours on les prévient et sinon on disparaît. Non !? Les autres sont foutus de toute façon, les fantômes les ont trouvé, c’est sûr… Tu crois pas !? Tu me comprends, toi. T’es un mercenaire, tu t’en fous de cette cité. On se fera recruter ailleurs. Une nouvelle vie. Non !?
Chat Maigre scrutait le cadavre du coin de l’œil, se disant que rester près d’un corps tout frais dans une cité tenue par les troupes de Nagash n’était pas une bonne idée. Mais Bathias était devenu fou, imprévisible, et avait toujours son âme à la main.
– Oui Bathias, je suis d’accord avec toi. Nous allons disparaître, tu as raison. Tu as fais le bon choix. C’est une belle dague que tu as là, je peux la voir ? Tu veux bien me la montrer ?
Marmonnant dans sa barbe naissante et regardant à nouveau dans le vide, Bathias tendit nonchalamment à Chat Maigre la dague qu’il avait exposée avec tant de fierté avant de sortir de la cave. Le mercenaire la prit avec toute la délicatesse et les précautions requises par la situation. Bathias lâcha le manche et Chat Maigre put observer l’arme. C’était un perce-maille, une dague à la lame longue, fine et solide. Souvent utilisée par les spadassins et l’infanterie, elle était conçue pour piquer entre les plaques d’armure ou pour traverser les côtes de maille. Sa longueur permettait de toucher les organes vitaux à coup sûr. Celle-ci était de facture sommaire, mal affûtée et visiblement entretenue par quelqu’un qui n’y connaissait pas grand chose. Voilà qui expliquait la vilaine entaille sur la gorge du Sire Hombert, le perce-maille était une arme d’estoc, son rôle était d’être planté dans les chairs, pas de les trancher. Il était évident que Bathias ne connaissait pas son arme et savait tout juste s’en servir. Chat Maigre se dégoûtait d’avance, mais il ne voyait pas d’autre option.
Le geste fut rapide et précis. Remontant le bras d’un coup sec, Chat Maigre enfonça l’arme sous la mâchoire de Bathias, jusqu’à la garde. La pointe ressortant par le haut du crâne avec un léger craquement. Bathias se tétanisa, tous ses muscles crispés d’un bloc, et plongea ses yeux dans ceux du mercenaire. Son regard devenant rapidement vitreux, du sang commença à couler par ses oreilles, sa bouche et son nez. Chat Maigre accompagna le corps au sol, l’allongeant aux côtés de celui de Sire Hombert. Pas le temps pour une prière, deux âmes qui se libèrent à proximité des troupes de Nagash, ça ne passera pas inaperçu longtemps. Chat Maigre se contenta de fermer leurs paupières, de leur adresser un dernier salut et de jurer à Hombert qu’il ferait son possible pour que la statue qu’il méritait lui soit érigée. Il dévala l’escalier avec le regret de n’avoir pas connu l’homme avant et de ne pas pouvoir lui offrir des funérailles dignes, mais le temps pressait, il devait s’éloigner avant que d’éventuels spectres n’arrivent, attirés par l’odeur de la mort ou n’importe-quoi d’autre. Abandonnant les quelques vivres qu’il avait mis de côté, il sortit dans la rue avec ses armes pour seul barda et commença immédiatement à se glisser le long des façades, aussi rapidement que la discrétion nécessaire le lui permettait, remontant la ville en direction du Palais.
Il ne marqua sa première pause qu’après une dizaine de rues, trouvant une porte cochère sous laquelle se tapir. Il lui fallait reprendre son sang-froid et revoir sa situation. Trois options s’offraient à lui, à savoir retourner à la cave, fuir la cité, ou tenter d’aller sonner le Tocsin. Retourner avec les survivants n’était pas envisageable, cela reviendrait à sceller pour de bon le destin de tout le groupe. Fuir la cité le tentait bien, non pas pour disparaître, mais pour aller quérir de l’aide dans une cité voisine. Mais comment savoir ce qui l’attendait à l’extérieur des murs ? Tarol, le mage, affirmait que de nombreuses patrouilles de spectres balayaient les terres environnantes. Ç’aurait pu être un mensonge pour que ceux qui sortent de la cave restent dans la cité, mais dans quel intérêt !? Qui plus est, la ville était toujours déserte alors que l’attaque avait eu lieu plusieurs jours auparavant. Les troupes de Nagash s’assuraient donc bien que personne n’atteigne la cité. Et, bien que moins nombreux, les spectres étaient toujours dans les murs, Chat Maigre en avait été témoin. Sortir des remparts l’amènerait à s’exposer sans grande chance de réussite. Ne restait que le Tocsin. Risquer sa peau pour tenter de sonner une cloche en plâtre…Stupide idée, mais vu les circonstances Chat Maigre ne voyait pas quoi faire d’autre. A moins que des renforts ne surgissent de nulle part, il ne se voyait de toute façon pas survivre à la situation, autant qu’il tente de mener la mission à bien.
Sûr de n’être pas suivi, il reprit la route du Palais en opérant un détour de quelques ruelles pour perdre d’éventuels traqueurs. Il parvint au Palais assez rapidement. Malheureusement Hombert n’avait pas eu le temps de lui parler de son plan pour y entrer discrètement, Chat Maigre devrait donc se débrouiller par lui-même. Faisant le tour de l’édifice par derrière, il trouva un muret sur lequel grimper qui lui donnait lui-même accès à un balcon qui, au prix de quelque effort, lui permit de passer par-dessus le mur d’enceinte du palais. Atterrissant lourdement sur l’herbe désormais sèche des jardins, il se laissa tomber au sol et ne bougea pas durant quelques minutes, écoutant et observant les alentours, pour constater qu’ici aussi la voie était libre. Il observa la façade qu’offrait le bâtiment. Les portes du rez-de-chaussée semblant toutes closes, il n’allait pas prendre le risque de tenter d’en ouvrir une. Les fenêtres quand à elles étaient toutes inaccessibles. Toutefois une terrasse attira son attention. Accessible grâce aux toitures de dépendances, elle semblait donner sur un balcon en enfilade qui longeait le bâtiment en direction de sa façade principale. Chat Maigre entreprit de gagner le premier toit en escaladant une plante grimpante qui couvrait presque entièrement un des murs. Il y parvint et passa sans mal sur un second toit, gagnant enfin la terrasse. Empruntant le balcon, il se baissa pour longer discrètement la façade principale en vue d’une entrée. Il jeta un œil par-dessus le garde-corps et constata les ravages que l’incendie avait causé à la cité. Tout les quartiers bas de la ville étaient partis en cendres, le feu avait visiblement été stoppé à hauteur de la rue Longelle, sa largeur peu commune empêchant les flammes de la traverser pour se répandre sur d’autres bâtiments. Mais un bon quart de la ville était tout de même parti en cendres.
Il finit par trouver une grande porte-fenêtre entrebâillée, s’y glissant discrètement il se retrouva dans une grande salle richement décorée, sans doute destinée à diverses réceptions et banquets. Il la traversa prestement et s’engagea dans un couloir, non sans guetter tout mouvement suspect. Mais là encore, rien. Il trouva un escalier qu’il descendit et, arrivé au rez-de-chaussé, se mit en quête du Tocsin. Le Palais était immense, mais l’objet avait lui-même la réputation d’être gigantesque et il était de notoriété publique que le Tocsin était installé sous les voûtes du Grand Dôme, visible depuis l’extérieur du Palais. Ne restait qu’à trouver quel couloir menait à ce Grand Dôme. L’intuition de Chat-Maigre lui dictant de chercher le couloir le plus vaste était bonne, l’artefact ayant un temps été sujet à pèlerinages, il était logique de le trouver au bout d’un des axes principaux du Palais. Ainsi, après avoir erré de longues minutes à travers les multiples salles et couloirs du Palais, le mercenaire se trouva enfin face aux portes du dôme, grandes ouvertes.
Le Grand Dôme était gigantesque. La pièce, ronde, était ceinturée d’arcades se coiffant elles-mêmes d’une voûte annulaire. Ses murs, parfois couverts d’un épais lierre grimpant, s’élevaient sur quatre étages, parsemés de fenêtres qui donnaient tantôt sur l’extérieur, laissant passer la lumière du jour, tantôt sur d’autres pièces du Palais. Plus haut, les murs s’ouvraient sous de larges voûtes qui laissaient passer l’air extérieur, et au-dessus desquelles prenait forme la charpente du dôme, toute de pierre elle dessinait de larges arcs concentriques entre lesquels apparaissaient de grands vitraux multicolores qui donnaient à la lumière qui les traversait des nuances chromatiques qui se reflétaient sur le Tocsin de Sigmar. Monumental, flottant à tout juste un mètre du sol et large d’une dizaine de mètres, il trônait de toute sa masse au centre de la vaste salle. Comme couvert d’or poli, il semblait renvoyer chaque rayon de lumière plus fort qu’il ne le recevait. Gravé sur toute sa surface de représentations de stormcasts et de textes sacrés, il arborait notamment une ceinture couleur ébène sur laquelle se lisait en lettres d’or « où je sonne son regard se pose« . La taille de l’objet était telle que Chat-Maigre en vint à se demander comment il avait pu être amené en ce lieu. Impossible. Le Palais avait sans doute été bâti tout autour, il ne voyait pas d’autre moyen. Les arcades sous lesquelles se trouvait encore le mercenaire étaient pavées d’un grès usé et ternis par le temps et les multiples talons qui l’avaient foulé, et sous le Tocsin lui même un cercle parfait de marbre reluisant. Mais, au grand désespoir de Chat-Maigre, c’étaient des galets qui habillaient le reste du sol. Ironie du sort, traverser une ville en silence et se retrouver séparé de son objectif par une mer de galets. Le mercenaire aurait été plus discret avec des grelots aux chevilles qu’en marchand sur ces maudits galets. Malgré tout il était trop tard pour faire demi-tour, Chat-Maigre se dit qu’en traversant au pas de course pour se ruer sur le Tocsin, il aurait sa chance.
Se retournant pour prendre son élan depuis le couloir, il se retrouva nez à nez avec un spectre. Silencieux, vêtu d’un voile d’ombre, il se tenait immobile dans l’encadrement des doubles-portes d’entrée du dôme, des fumerolles d’ombre de mouvant autour de lui. Contrairement aux autres spectres qu’il avait aperçu celui-ci portait un masque de métal aux formes grotesques, seulement pourvu de deux trous d’orbites et d’un menton proéminent long de presque une coudée. Il semblait aussi plus grand et plus massif, dominant le mercenaire d’une bonne tête, et tenait une flamberge d’une main aussi diaphane que nonchalante. L’arme faisait peine à voir, garde tordue, de nombreux impacts sur le fil et une lame parcourue de points de rouilles, elle avait visiblement autant souffert que l’âme de son propriétaire. Chat-Maigre peinait à quitter des yeux le regard de ténèbres qui semblait le scruter derrière le masque. Il avait par réflexe pris son arme en main, sans la sortir de son fourreau, et reculait maintenant à mesure que l’entité avançait vers lui. Il sentit son premier pas dans les galets, la pierre roulant légèrement sous sa semelle, semblant se dérober avant de se stabiliser. Le spectre s’arrêta à sa sortie des arcades mais Chat-Maigre recula que quelques pas supplémentaires. Il vit d’autres spectres naître des murs ou des piliers, moins massifs mais tous semblables à celui qu’il avait déjà devant lui, tous armés d’épées à deux mains, mais chacun avec un masque différent. Ils furent finalement une douzaine à les encercler, lui et le premier spectre. Celui-ci contourna lentement Chat-Maigre alors qu’il faisait glisser son arme hors de son fourreau en jetant des regards à la ronde, essayant de voir venir le premier coup. Mais rien ne se produisit. Il fit finalement à nouveau face au premier spectre, désormais placé entre lui et le Tocsin il tenait son arme à deux mains. Chat-Maigre, à son grand étonnement, avait les idées claires. Il était tombé dans une embuscade. Pourquoi les sbires de Nagash s’ennuieraient à traquer les survivants alors qu’il suffisait de leur offrir une porte de sortie et de les y attendre!? Galvanisé par une progression trop facile dans la ville, il avait oublié d’être prudent au moment le plus critique. Seul et cerné par des entités fantomatiques il ne paniquait cependant pas, conscient que son heure était venu, mais pas résigné pour autant et bien décidé à vendre chère sa peau. Il attendait désormais le premier assaut, presque serein.
Le spectre se jeta sur lui à une vitesse folle, assénant un magistral coup de taille vertical que le mercenaire, surpris par la vitesse, bloqua juste à temps. La force de l’impact était telle qu’il n’en avait jamais connu et il résista de justesse. Le spectre se désengagea à peine le coup porté et revint aussi tôt à la charge avec un autre coup de taille que Chat-Maigre réussit à parer et à rediriger, se créant une ouverture dans la défense du spectre et y assénant un violent coup de coude. En vain, le coude traversa le spectre et le mercenaire suivit, emporté par son élan. Comment combattre un être immatériel ? L’entité profita de son nouveau positionnement pour renouveler ses assauts par deux fois, Chat-Maigre n’eut d’autre choix que de se jeter au sol et de rouler sur les galets pour les éviter, le second coup heurta d’ailleurs les pierres, qu’il fendit, endommageant d’autant plus la lame. Chat Maigre connaissait maintenant son adversaire, une brute qui dédaignait les jeux de lames au profit de la force pure, il lui faudrait parer et esquiver les assauts au lieu de les bloquer. Mais dans quel but, s’il ne pouvait au final pas même le blesser ? De nouveaux assauts suivirent, brutaux et rapides, ils gagnaient en intensité au fur à mesure que le spectre perdait en patience. Chat Maigre ne menait pas la danse mais tenait tout de même la dragée haute à son adversaire, parant ou esquivant avec application tous ses coups, il parvint à plusieurs reprises à passer sa garde. La rudesse du combat prélevait toutefois son impôt sur le mercenaire qui sentait ses bras faiblir, les jours passés dans la cave ayant grandement amoindrit sa force et son endurance, il sentait déjà les premières courbatures et tendinites poindre. Un assaut désordonné vint, le spectre tentant maladroitement de prendre Chat Maigre par surprise, celui-ci bloqua le coup qui venait à hauteur de hanche, tenant son arme la pointe en bas, et déplia ses coudes d’un geste brusque. Le pommeau de l’arme heurta avec violence le masque de métal en y formant un creux. Le coup résonna sous le dôme et les autres spectres s’agitèrent. Chat Maigre remarqua du coin de l’œil un nouveau venu. Se tenant à quelques mètres du cercle qui abritait le combat, celui-ci portait en plus de son masque un casque à cornes stylisées et montait un cheval de cauchemar dont le pelage d’ombre et de fumée laissait par moment voir le squelette. Mais Chat Maigre n’eut pas l’occasion de s’éterniser sur le nouveau venu, son adversaire désormais ivre de colère l’assaillait à nouveau. La pluie de coups était aussi violente que désordonnée et le spectre martelait de sa lame le mercenaire qui parait et esquivait autant que possible, bloquant tant bien que mal lorsque les galets le gênaient trop dans ses mouvements. Une fraction de seconde l’averse de coups s’interrompit alors que le spectre empoignait son arme par la lame pour frapper en mordhau, tentant d’arracher l’arme des mains du mercenaire à l’aide de sa garde. Chat Maigre para le premier coup mais fut contraint de bloquer le second, le spectre tira d’un coup sec l’arme à lui, sa garde prise dans celle du mercenaire qui ne réussit à garder prise sur le manche de son arme qu’à l’aide d’un mouvement de poignet chanceux, dégageant sa lame de l’emprise dans un horrible crissement de métal mordant le métal. La troisième tentative fut immédiate, Chat Maigre bloqua à nouveau et parvint à n’entraver que sa lame. Le spectre tira à nouveau à lui les deux armes, faisant glisser sa garde le long de la lame d’un Chat Maigre bien décidé à ne pas lâcher. L’occasion apparut, le mercenaire trouva son arme pointée droit vers l’esprit alors que celui-ci était encore en position de retrait. Chat Maigre ne se posa pas la question de l’utilité de cette nouvelle attaque contre une entité immatérielle, il frappa par réflexe, parce-qu’on ne laisse pas passer une occasion comme celle-là. Suivant le mouvement donné par le spectre, il bondit en avant et frappa d’estoc droit dans le masque. La pointe de sa lame trouva l’orbite et s’y glissa en mordant le métal du masque, s’enfonçant de plusieurs pouces sans autre résistance. L’espace d’un instant Chat Maigre se demanda si ce coup n’allait pas lui coûter la vie, pourrait-il retirer son épée avant le prochain assaut ?
La question ne se posa pas. Le spectre abandonna son arme et porta les mains à son masque, se jetant à la renverse dans un effroyable cri, aiguë au point que le mercenaire dû lâcher son arme et se couvrir les oreilles de ses mains en reculant. Il vit l’entité tressauter, comme prise de spasmes, ses fumerolles s’affolant avant de disparaître petit à petit. Le cri semblait de plus en plus lointain au fur et à mesure que le spectre se ratatinait au gré de ses convulsions. Il finit par disparaître dans un tourbillon d’ombre, son masque tombant sur les galets dans un tintement métallique. Chat Maigre le contempla un court instant, bouche bée, décontenancé d’avoir réussi à occire son adversaire. Contrairement à ce qu’avait dit le Commandant lors de l’attaque, une bénédiction de Sigmar n’était pas le seul moyen de venir à bout de ces esprits, on pouvait également se contenter de bien viser. Il se reprit en apercevant les autres fantômes s’agiter et commencer à lui tourner autour, certains faisant déjà des moulinets de leurs armes. Stoppant leur semblant de maraude, ils tournèrent tous la tête vers celui portant le casque à corne. Une sorte de chef à n’en pas douter. Le mercenaire le vit glisser au bas de sa monture, armé d’une claymore finement ouvragée, mais elle aussi rongée par le temps et le manque d’entretien. A son approche le cercle de spectres s’ouvrit pour le laisser passer. Il avançait lentement, flottant au-dessus des galets, ne quittant pas Chat Maigre de son regard inexistant et vint finalement se placer à mi-distance entre le mercenaire et le Tocsin. Le mercenaire sentait ses muscles le tirailler, il savait qu’il n’aurait pas l’énergie nécessaire à un second duel avec ces entités. S’il voulait mener sa mission à bien il allait devoir ruser et profiter que ces spectres jouent avec lui pour se jeter sur le Tocsin et espérer le sonner. Le fantôme tendit le bras, pointant Chat Maigre de sa lame, comme une invitation. Ce dernier n’ayant pas eu l’occasion de ramasser son épée à deux mains, il mit au clair l’épée bâtarde qu’il avait obtenu de Tronche, ainsi que son poignard en main gauche. Sitôt qu’il fut en position, les pied bien ancrés dans les galets, le spectre se rua sur lui. La vitesse était prodigieuse, mais pas autant que la force de l’impact. Chat Maigre bloqua de toutes ses forces mais fut contraint de reculer de deux pas. La seconde charge le repoussa de deux nouveaux pas. Cet adversaire était d’un autre acabit que le précédent, ses attaques étaient certes puissantes, mais si rapides que le mercenaire ne parvenait pas à les éviter, tout juste à les bloquer en urgence. Il entreprit de faire quelques pas de côté, être toujours en mouvement pour compliquer les assauts de son ennemi et faciliter ses propres esquives et parades, et pourquoi pas se jeter sur le Tocsin si une opportunité apparaissait, mais sans succès. Les galets du sol devenaient un réel problème pour se mouvoir tant son pas se faisait moins sûr à cause de l’épuisement, mais en plus le spectre lisait clair sans son jeu et se plaçait systématiquement entre le mercenaire et l’artefact, l’en maintenant à bonne distance. Les assauts se suivaient sans se ressembler, attaques d’estoc, de flanc, verticales, fauchages… Le spectre ne laissait que peu de répit à un Chat Maigre épuisé, aux membres endoloris par les efforts déployés. Lui qui voulait vendre chère sa peau se retrouvait tel une souris avec laquelle joue un chat avant d’en faire son repas. Un nouvel assaut vint, bloquant maladroitement de ses deux armes, Chat Maigre tenta tant bien que mal d’asséner un coup de coude dans les côtes du spectre, mais celui-ci aussi laissa le bras du mercenaire le traverser sans broncher, et sans le sentir. Les limites physiques du mercenaire étaient depuis longtemps atteintes, sans vraiment le sentir il laissa glisser de sa main son poignard qui atterrit dans les galets avec un tintement. Le spectre recula doucement de quelques pas, invitant d’un mouvement de tête le mercenaire à ramasser son arme. Perdant le contrôle de lui-même à cause de la fatigue, Chat Maigre se mit à rire nerveusement, ramassa son poignard de la main gauche et le lança sur le spectre avec un cri de rage. Une nouvelle fois celui-ci ne bougea pas, le poignard le traversant mollement à hauteur du ventre, dans un tourbillon de ténèbres et de volutes, pour aller ricocher sur les galets quelques mètres plus loin. Chat Maigre marqua une pause, la tête légèrement inclinée sur le côté, le regard dans le vide, comme perdu dans ses pensées, et revint à lui en marmonnant. Subitement il jeta son épée, ramassa un galet de la main droite et le lança de toutes ses forces sur le spectre. Une fois de plus le spectre laissa l’objet le traverser, à hauteur de poitrine, dans un léger tourbillon de fumerolles…
« BOOOOOOOOOOOOOOONG ! »
Le Tocsin résonna d’un ton grave lorsque le galet le heurta, emplissant l’espace sous le dôme d’une note basse qui semblait presque palpable tant elle durait. Comme un seul homme, les spectres se tournèrent vers l’artefact puis revinrent à Chat Maigre et s’animèrent, leurs corps immatériels agités comme des brasiers de ténèbres. Le mercenaire affichait un sourire aussi béat que satisfait et provoqua son adversaire d’un ricanement :
« Tu t’y attendais pas à celle-là, hein !? Et pas de chance pour vous, c’est pas du plâtre. Mais vous le saviez déjà je parie.«
Ce fut la curée, les spectres se jetèrent tous sur le mercenaire et le démembrèrent à grands coups de lames sans autre forme de procès. Chat Maigre ne ressentit pour ainsi dire rien tant l’attaque fut foudroyante, tout juste eu-t-il temps de prendre peur.
Il était pourtant bien là, en lieu et place, mais hors de son corps, à regarder le sinistre spectacle sans y éprouver la moindre émotion ni aucune sensation, sinon un froid pernicieux qui commençait à se répandre en lui. Alors que la plupart des spectres s’acharnaient sur sa dépouille au sol, leur leader le regardait droit dans les yeux.
« Alors ça y est, j’y suis passé… » songea-t-il de façon détachée, sans en éprouver de sentiment, seulement inquiété par ce froid qui le prenait chaque seconde un peu plus. Il remarqua qu’il n’entendait plus le résonnement du Tocsin, que la lumière autour de lui commençait à changer, à pâlir, à perdre ses couleurs. Il avait aussi l’impression que son esprit était en train de s’endormir, voir de s’éteindre. Le spectre s’éloigna pour récupérer l’épée à deux mains de Chat Maigre et le masque du spectre qu’il avait occit, tous deux encore enchevêtrés. Il les sépara et tendit la poignée de l’épée au mercenaire, qui la saisit sans y réfléchir, et déposa le masque sur son visage. A son contact, Chat Maigre ressentit à nouveau ce froid intense lui mordre le visage et se répandre plus rapidement dans tout son être. Les spectres abandonnèrent la dépouille et formèrent un nouveau cercle autour de leur chef et de celui qui devenait leur nouveau confrère. Chat Maigre n’avait plus conscience de grand-chose, il se sentait comme ivre et ce froid lancinant le paralysait et l’empêchait de se concentrer sur quoi que ce soit.
Le masque tomba. Les spectres semblèrent échanger des regards, alors que leur leader le ramassait à la hâte pour le remettre en place avec bien moins de douceur qu’au préalable. Le froid fut moins mordant sur le visage de Chat Maigre, qui de manière générale le ressentait moins dans son être, comme habitué. Il voulut parler, mais impossible, le peu d’idées qu’il parvenait à avoir étaient de toute façon confuses.
Le masque tomba à nouveau. Suivi de son épée qui glissa littéralement à travers ses doigts désormais immatériels. Chat Maigre se sentait bien. Le froid avait laissé place à une douce tiédeur, réconfortante comme un rayon de soleil au petit matin. Il reprenait peu à peu ses esprits, apaisé, et regardait les spectres qui vitupéraient maintenant autour de lui sans ressentir la moindre appréhension. La peur l’avait quitté, de même que le doute. Il regarda le masque et son épée au sol d’un air détaché, puis leva les yeux vers le sommet du dôme. Là un rayon de chaude lumière l’aveugla et caressa sa peau, la sensation dessina un sourire sur son visage. Il garda la tête relevée et écarta les bras pour accueillir cette douceur, totalement inconscient des spectres qui tentaient sans succès de l’agripper et l’arracher à cette lumière. Leurs doigts squelettiques ne trouvant aucune prise sur son être devenu pour eux aussi insaisissable qu’une brise. Cette chaude lumière appelait Chat Maigre à elle, et il s’y offrait sans résistance. Son être commença à doucement s’élever dans les airs, malgré tout le mal que les spectres se donnaient pour le retenir. Tous sauf leur leader qui le regardait s’éloigner, la tête basse, dans un air de rage contenue. Alors que de nouveaux spectres de toutes sortent commençaient à apparaître et à jaillir des murs, Chat Maigre baissa les yeux et observa un court instant celui qui fut son dernier adversaire. Apaisé, heureux, il se sentit taquin et ne put s’empêcher de lui adresser un clin d’œil.
Un éclair se dessina sous le dôme, puis un second, suivi d’un troisième. Chacun frappa le sol et fit jaillir les galets sous la violence de l’impact, et chacun laissa à l’impact un colosse à l’armure d’or, armé d’un marteau de guerre et d’un pavois bleu roi. De nouveaux éclairs frappèrent, amenant autant de guerriers stormcasts d’emblée parés au combat qui se jetèrent sur les spectres sitôt qu’ils touchèrent le sol. Chat Maigre, en pleine ascension, pouvait les voir anéantir leurs ennemis maudits à grands coups de marteaux, leurs chefs à cimiers rouge vif les exhortant de leurs voix de stentors. La bataille faisait déjà rage sous le dôme lorsque Chat Maigre en sortit, traversant un des vitraux, toujours guidé par ce rayon bénit. De si haut, il pouvait voir que la cité était aussi devenue un champ de bataille. Les fantômes affluaient de toutes parts, sortant des murs, des égouts, il en voyait même venir des campagnes et forêts au-delà des remparts, alors que le ciel ne cessait de cracher ses éclairs sur les pavés de la cité, envoyant ses guerriers stormcasts porter la justice de Sigmar dans les rangs ennemis.
Chat Maigre continua sons ascension en direction des cieux, rassuré pour les survivants de la cave qui auront finalement le secours qu’ils attendaient, mais également impatient d’être à son tour le fruit d’un éclair.
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